Le « nuage de Tchernobyl » qui se serait arrêté à la frontière est une affirmation récurrente que l’on utilise pour désigner un supposé silence ou mensonge d’État.
Sur Antenne 2, Brigitte Simonetta explique que l’anticyclone des Açores, qui se trouve alors au-dessus de la France, “restera jusqu’à vendredi prochain [le 2 mai] suffisamment puissant pour offrir une véritable barrière de protection” à la France. “Il bloque en effet toutes les perturbations venues de l’Est”, poursuit la speakerine. Sur la carte, un panneau “stop” vient même s’afficher sur la frontière franco-allemande pour illustrer cette prévision.
Trente ans après la catastrophe nucléaire, la zone d’exclusion autour de la centrale est une immense jachère figée dans le temps. L’arche géante qui abritera le premier sarcophage érigé dans l’urgence doit être installée en novembre.
L’allégation persistante selon laquelle le « nuage de Tchernobyl » se serait arrêté à la frontière constitue une accusation fréquemment évoquée pour dénoncer un prétendu silence ou mensonge d’État. Cette métaphore a été largement utilisée pendant la crise sanitaire actuelle, avec des titres tels que « Le coronavirus n’est pas le nuage de Tchernobyl » ou des déclarations telles que « On nous refait le même coup que le nuage de Tchernobyl ».
Bien qu’aucun sondage spécifique n’ait été réalisé sur cette question, la plupart des personnes interrogées semblent persuadées que, pendant un certain temps, les autorités françaises ont nié le passage du nuage de Tchernobyl sur le territoire. L’expression « nuage arrêté à la frontière » est devenue monnaie courante et est souvent employée par des groupes anti-nucléaires pour souligner la méfiance envers la communication des autorités publiques sur cette industrie. Cependant, ce mythe a été réfuté à plusieurs reprises, notamment dans Science et pseudo-sciences, bien que rarement dans la presse grand public, à quelques exceptions notables près.
L’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl a eu lieu le 26 avril 1986. Initialement dissimulé par les autorités soviétiques (l’Ukraine faisait alors partie intégrante de l’Union soviétique), l’accident a été révélé le 28 avril lorsque des niveaux de radioactivité anormaux ont été détectés en Suède. Bien que les autorités de Moscou aient été contraintes de reconnaître un grave accident nucléaire, elles ont affirmé que la situation restait sous contrôle. Cependant, le graphite du réacteur en feu a entraîné l’émission de particules et de gaz radioactifs transportés par l’atmosphère. Le déplacement du panache radioactif a été approximativement suivi grâce aux mesures de radioactivité au sol et à la modélisation du transport atmosphérique. Le nuage est arrivé en France le 30 avril en soirée, couvrant une grande partie du territoire le 1er mai avant de se déplacer vers le nord et l’est les jours suivants.
Le professeur Pellerin n’a jamais affirmé que le nuage radioactif s’était arrêté à la frontière, contrairement à ce qui est fréquemment avancé. Au contraire, il fournissait quotidiennement des informations sur le déplacement du nuage. Un exemple de ces rapports se trouve dans l’édition de Libération du 2 mai 1986, où il est rapporté : “Pierre Pellerin, le directeur du SCPRI, a annoncé hier que l’augmentation de radioactivité était enregistrée sur l’ensemble du territoire sans aucun danger pour la santé” . Ces propos ont été tenus au plus tard dans la soirée du 1er mai 1986, alors que le panache avait atteint la France le même jour.
Cette déclaration démontre l’absence de retard dans la transmission de l’information et réfute toute intention de l’État de dissimuler les faits, le SCPRI étant un service relevant du ministère de la Santé. Il est donc surprenant de constater que dix jours plus tard, le même journal, Libération, titrait en première page “Le mensonge radioactif” avec des commentaires accusateurs : “Les pouvoirs publics ont menti, le nuage radioactif a bien survolé une partie de l’Hexagone : le professeur Pellerin en a fait l’aveu deux semaines après l’accident nucléaire.” Cette couverture a marqué le début du mythe du mensonge d’État, une légende qui s’est rapidement répandue. De nombreux reportages ont contribué à façonner cette légende en utilisant des déclarations tronquées ou en présentant des commentaires antérieurs à l’arrivée du nuage comme s’ils étaient postérieurs. Pendant plus de vingt ans, le professeur Pellerin a été la cible de nombreuses attaques, en particulier sur le plan judiciaire, bien que toutes aient échoué (voir l’encadré ci-après).
Pourquoi le nuage en provenance de Tchernobyl, qui a touché la France n’etait-il pas dangereux ?
En France, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), placé sous l’égide du ministère de la Santé à l’époque, dirigé par le professeur Pierre Pellerin, était chargé des mesures de radioactivité. Le professeur Pellerin était en première ligne pour commenter l’arrivée du panache radioactif de l’accident de Tchernobyl et évaluer son éventuelle dangerosité. Les déclarations du professeur Pellerin étaient toujours rassurantes, indiquant que les niveaux de radioactivité du panache étaient trop faibles pour constituer un problème de santé publique, sauf dans les zones immédiatement adjacentes à la centrale.
Revenons sur l’allégation d’un prétendu mensonge d’État. Ceux qui avancent cette affirmation peinent généralement à identifier son origine, à savoir qui aurait menti, en disant quoi, et à quelle date. Deux événements sont parfois cités à l’appui de cette allégation : un panneau “Stop” présenté par Brigitte Simonetta, la présentatrice météo du journal de 20 heures sur TF1, et un communiqué du ministère de l’Agriculture affirmant que la France avait été épargnée. Examinons ces deux épisodes.
Concernant le journal météo du 20 heures sur TF1 diffusé le 30 avril 1986, un reportage dédié à l’accident de Tchernobyl et à ses conséquences était diffusé. À l’époque, TF1 était encore une chaîne de télévision publique. Brigitte Simonetta expliquait qu’un anticyclone protégeait la France de l’arrivée du panache radioactif en provenance de l’Est. Elle soulignait que ces informations étaient des prévisions susceptibles d’évoluer. Bien que le discours de Simonetta soit rassurant, des allégations ultérieures ont suggéré que ses propos avaient été dictés par l’État. Toutefois, une enquête approfondie menée récemment par le service CheckNews de Libération a réfuté ces affirmations. Brigitte Simonetta a affirmé avoir pris l’initiative du panneau “Stop” et n’avoir reçu aucune instruction des autorités de l’État. Bien qu’une erreur de prévision ait été commise, les témoignages et les investigations confirment qu’il ne s’agissait pas d’un mensonge. De plus, dès le lendemain, au journal de la mi-journée d’Antenne 2, l’arrivée du panache par le Sud-Est était annoncée, contredisant ainsi toute tentative de dissimulation.
L’autre élément souvent cité est un communiqué du ministère de l’Agriculture daté du 6 mai 1986, affirmant que le territoire français avait été “totalement épargné” par les retombées de radionucléides de l’accident de Tchernobyl en raison de son éloignement. Cette déclaration est clairement incorrecte, car le nuage a survolé la France, déposant des radionucléides au sol. Certains considèrent cela comme une preuve de mensonge d’État, tandis que d’autres y voient une maladresse rédactionnelle ou une interprétation incorrecte du terme “épargné”. Notons que le communiqué reconnaissait les hausses de radioactivité sans poser de problème d’hygiène publique, ce qui contredit la première phrase. En aucun cas, il ne semble y avoir eu une volonté délibérée de cacher l’existence de particules radioactives, et parler de mensonge serait donc peu raisonnable.
le sarcophage de Tchernobyl recouvrant les ruines du réacteur numéro 4, est en piteux état. Son démantèlement va débuter, sous l’arche de confinement livrée début juillet 2019 après douze ans de chantier. Cette phase du chantier doit s’achever en 2023.